La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

jeudi 17 janvier 2013

Les sept types en or : Joseph Noiret [1927-2012]

Les mots plantent le décor de cette scène où, me cachant, je me donne à voir. Mais seul spectateur attentif à découvrir le chemin qu'ouvrent les mots, je cherche l'issue par où quitter cette scène que les autres arpenteraient sans fin.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

Joseph Noiret, décédé il y a juste un an, fit brièvement partie avec Christian Dotremont du surréalisme révolutionnaire en Belgique et fut, à la suite d'une rupture prononcée en 1948 (« La cause était entendue », voir ci-dessous), l'un des protagonistes (et mémorialiste) du mouvement CoBrA (Copenhague/Bruxelles/Amsterdam). Il fut également l'un des fondateurs en 1953 de la revue Phantomas, que votre lièvre précieux a déjà mentionné ici, à travers les portraits de Paul Bourgoignie, Marcel Havrenne, François Jacqmin et Théodore Koenig.

COBRA, 8 novembre 1948 

LA CAUSE ÉTAIT ENTENDUE

Les représentants belges, danois et hollandais à la conférence du Centre international de documentation sur l’art d’avant-garde à Paris jugent que celle-ci n’a mené à rien. La résolution qui a été votée à la séance de clôture ne fait qu’exprimer le manque total d’un accord suffisant pour justifier le fait même de la réunion.
Nous voyons comme seul chemin pour continuer l’activité internationale une collaboration organique expérimentale qui évite toute théorie stérile et dogmatique.
Aussi décidons-nous de ne plus assister aux conférences dont le programme et l’atmosphère ne sont pas favorables à un développement de notre travail. Nous avons pu constater, nous, que nos façons de vivre, de travailler, de sentir étaient communes ; nous nous entendons sur le plan pratique et nous refusons de nous embrigader dans une unité théorique artificielle. Nous travaillons ensemble, nous travaillerons ensemble.
C’est dans un esprit d’efficacité que nous ajoutons à nos expériences nationales une expérience dialectique entre nos groupes. Si, actuellement, nous ne voyons pas ailleurs qu’entre nous d’activité internationale, nous faisons appel cependant aux artistes de n’importe quel pays qui puissent travailler – qui puissent travailler dans notre sens.

CENTRE SURREALISTE-REVOLUTIONNAIRE EN BELGIQUE : Dotremont, Noiret.
GROUPE EXPERIMENTAL DANOIS : Jorn.
GROUPE EXPERIMENTAL HOLLANDAIS : Appel, Constant, Corneille. 

Pour un rapide portrait de Joseph Noiret, laissons d'abord la parole à Pierre Puttemans, le plus jeune des « sept types en or » (1) et qui est à présent l'unique témoin vivant du groupe Phantomas :

"Malgré un goût pour la discrétion et une horreur quasi viscérale de toute théorisation et de tout manifeste, Joseph Noiret était sans doute le plus porté à émettre des jugements critiques parfois féroces, à rédiger des préfaces de livres ou d’expositions […] Plusieurs mythes doivent être démontés ici. D’une part, celui d’une rupture avec la France tout entière, et avec Paris en particulier qui la résumerait comme une globalité : d’une part, l’acronyme Cobra me paraît plus inclusif qu’exclusif ; nombre d’artistes français vont très rapidement se joindre au mouvement, qui est ainsi plus lié au rejet d’une théorisation univoque et du dogmatisme qu’à tout autre rejet."
[…]
"Joseph Noiret fut sans doute, avec moi qui suis architecte, le seul collaborateur que le métier « civil » n’ennuyait pas : il enseigna la littérature et la philosophie dans le réseau secondaire, puis à l’IESS avant de le faire à La Cambre, dont il fut directeur en 1979 […] Les questions d’actualité politique ou idéologique étaient très rarement évoquées ; toutefois, Noiret exprima très rapidement son dégoût du réalisme socialiste […] L’opposition à un certain communisme se traduira notamment dans le texte de Dotremont, Le réalisme socialiste contre la révolution, Bruxelles : Cobra, 1950 (cité par Joseph Noiret dans « Cobra », in Phantomas n°100-111 (La Mémoire).

Pierre Puttemans, Joseph Noiret ou l’aventure dévorée : de Cobra a l’Estaminet

(1) Pierre Puttemans nous confie par ailleurs que « L’appellation Sept Types en Or paraît avoir été créée par Théodore Koenig en 1979, par allusion au film italien Sept Hommes en Or, parodique et policier ».

Joseph Noiret revient lui-même sur les événements qui ont préludé à la naissance du mouvement Cobra, dans La Belgique sauvage (Phantomas) :

"Dans une glaise commune, le travail de poètes, de peintres, d'ethnologues creusait les sillons qui allaient devenir un champ. À travers l'Europe, le hasard des rencontres, des voyages, des revues ou des exposition ménageait les contacts nécessaires à chacun pour franchir le cul-de-sac d'un horizon illusoire. Était-il concevable que toutes ces expériences s'ignorent, que ces élans jamais ne se rencontrent ? L'art expérimental exigeait une unification momentanée des efforts, lui qui jouait son existence chaque jour et chaque nuit et tendait vers ce moment où il ferait lui-même le jour et la nuit. Une telle exigence conduisit des peintres et des poètes à ouvrir une salle des pas trouvés, un univers de la bonne santé poétique et picturale, où la recherche sensible confronterait ses évidences. Aussi puis-je affirmer que COBRA devait naître, unir, puis prendre de nouveaux visages selon les nécessités de notre vie".

"Après la fin de Cobra, Joseph Noiret allait poursuivre avec le peintre et sculpteur Serge Vandercam une expérience d’œuvres communes dont on trouvera les traces dans divers tableaux, l’aménagement d’une station de métro bruxelloise, une réalisation située au musée du Sart-Tilman, etc."
Pierre Puttemans, texte cité


Être vigilant pour que le vivant que je suis se garde vif, pour que le vivant que je veux être ne s'enlise pas dans les strates de la mémoire.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

PHANTOMAS, 1953 

Aux côtés de Marcel Havrenne et Théodore Koenig, Joseph Noiret était le plus jeune des trois fondateurs de la revue Phantomas.

« Sur le plan poétique, Noiret paraît s’être essentiellement interrogé sur le langage et le mécanisme de l’écriture, comme en témoignent l’œil, l’oreille et le lieu, ou Tas de mots, mise en scène des regards. L'aphorisme ou le jeu de mots apparaissent moins que chez Koenig ou Bourgoignie. A cet égard, il est plus proche de François Jacqmin. »

Pierre Puttemans, texte cité

Ta langue, dit-elle, n'est pas pieuse, est pas pilleuse, est papilleuse.

(J. Noiret, Écritures)

Le saccage initial comme nécessité de tout acte initiateur.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

Elle avait le goût salé que l'on connaît à ces filles dont le bout des seins est âcre et noir.

(J. Noiret, Écritures)

Insidieux, le cœur d'artichaut habité de poils : cœur et sexe dans le même instant, dans le même lieu.

(J. Noiret, Le cœur mis à nu comme organe mécanique)

Dans un texte intitulé Phantomas sur la sellette et peu à cheval..., publié dans le volume de La Belgique sauvage, Joseph Noiret faisait part de plusieurs points de vue concernant la pertinence du concept d'avant-garde ; si l'expression est à présent tombée en morceaux (par pourrissement naturel sémantique, non structurel) le propos reste foncièrement et fromagèrement d'actualité :

"Sachant bien aussi que la littérature d'avant-garde n'est pas nécessairement l'avant-garde de la littérature (et que d'ailleurs l'avant-garde s'ignore nécessairement comme telle), il faudrait tenter de définir, avant qu'il ne tombe complètement en morceaux – ce qui serait réjouissant, non ? - le concept pourri d'avant-garde : alors s'ouvrirait le vrai carnaval, au-delà de toute critique littéraire possible. Cette tentative exigerait la mise au point de critères de définitions, dégagés de toute mode, qu'il serait fort hasardeux d'établir et combien harassant : nous préférons donc faire l'amour, quel qu'en soit par ailleurs le mode.

Phantomas ne confond pas le carnaval avec le port de masques, il n'a pas le souci de l'avant-garde telle qu'on la fabrique ou qu'elle se fait, fromagèrement parlant, dans les milieux du lobby de la « littérature ». Phantomas ne s'enivre pas avec des étiquettes de flacons, Phantomas vit le jeu, joue la vie, ne joue pas le jeu."

LA CAMBRE, 1980 

Joseph Noiret fut en 1980 le premier directeur de l’Institut après la scission de l’enseignement des beaux-arts et de l’architecture et le resta jusqu'en 1992 […] Il y créa rapidement la section de restauration d’œuvres d’art […] L’atelier d’ « espaces urbains et ruraux », qui succéda à l’atelier du vitrail puis à celui de Transparence et matières de synthèse, fut rebaptisé par Noiret […] L’atelier de Haute Couture, présent jusqu’en 1964-1965, refit surface après quelques années d’éclipse, sous le nom d’atelier de stylisme. Des défilés de mode furent organisés dans plusieurs lieux publics de la capitale. Enfin, Noiret confiera à Yannick Bruynoghe (tôt disparu et proche de Phantomas) un cours d'histoire du jazz. 

Écrire : vouloir se souvenir de ce qui n'a pas encore eu lieu, de ce qui va prendre corps dans l'acte d'écrire, de ce qui va me porter plus loin dans le long cheminement du langage.

(J. Noiret, La recherche des lieux) 

L'ESTAMINET, 1993

"Joseph Noiret fonda en novembre 1993 une « revuette » plus confidentielle et à nouveau corrosive et parfois facétieuse, L’Estaminet, qui parut « au fur et à mesure des besoins », sous l’enseigne « à l’improviste ». Il y publia des textes inédits des anciens collaborateurs de Phantomas, une partie de la correspondance de Christian Dotremont avec Noiret, etc. L’esprit des premiers numéros de Phantomas y est revenu."

Pierre Puttemans, texte cité
photo de Serge Noiret

Comment se passionner à résoudre une énigme si, au bout du tunnel, ne s'ouvre pas l'énigme d'un autre tunnel ?
(J. Noiret, Écritures)

Principales publications de Joseph Noiret :
L’aventure dévorante, Bruxelles : Cobra 1950. Ill. Pol Bury
Description de Cobra, Bruxelles : Palais des Beaux-Arts 1962
Histoires naturelles de la Crevêche, Bruxelles : Phantomas Acoustic Museum 1971, ill. Mogens Balle
Tas de mots, mise en scène des regards, Bruxelles : Phantomas 1971. Ill. Maurice Wijuckaert
Cobra, Bruxelles : Phantomas 1972
Mise en scène de l’éphémère, Naples : Framart Studio, 1975. Ill. Sergio Dangelo
L’œil, l’oreille et le lieu, Bruxelles : Bibliothèque Phantomas, 1979 (ce volume reprend notamment des textes antérieurs)
L’espace oblique, Bruxelles : La pierre d’alun, 1986. Ill. Godfried Wiegand
ChronoCobra, Bruxelles : Didier Devillez, 1986
La conversation de Bierges avec Serge Vandercam, Gerpinnes : Tandem 1992

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