La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

mardi 26 juin 2012

Le Petit Lapin étymologique et métaphorique illustré

Pourquoi votre lièvre précieux ne s'est-il pas interrogé plus tôt sur ses origines sémantiques dans le cours de ses recherches cuniculaires et mystères lagomorphiques ? Sans doute a-t-il trop souvent la tête ailleurs, et c’est pourquoi les Sélénites amusés le qualifient de Jeannot terrestre. Le Petit Lapin étymologique et métaphorique illustré s'efforcera donc de retracer l'origine et l'évolution des mots lapin et lièvre, ainsi que leurs valeurs symboliques, représentées au moyen d'expressions imagées et locutions proverbiales (dont certaines tombées en désuétude, mais qu’il est toujours bon de se rappeler) ; paysage sémantique qui offre de larges perspectives, mais que je ne serai évidemment pas en mesure de circonscrire (malgré un angle de vision de 340°, je reste myope par devant et derrière).

Étymologie du mot lapin

Au XVIIe siècle, lapin a définitivement remplacé l'ancien français connin, connil ou conhil (ancien provençal), issu du latin cuniculus (conejo en espagnol, coniglio en italien), éliminé à cause de la paronymie avec le dérivé de con, qui donnait lieu à de nombreuses équivoques. Le mot lapin se serait formé vers 1330, à partir de lapriel, laperiaus (pluriel, 1376), d'un radical ibéro-roman lappa "pierre plate". C'est lapereau qui a donné naissance à lapin, et non l'inverse, par changement de syllabe finale (1458).
 
 
On doit donc s'interroger sur le mot lappa, "pierre plate", probablement d'origine pré-romane, dont le sens est devenu « terrier », les lapins établissant souvent leur repaire dans la terre couverte de pierres (hypothèse admise, mais qui reste mystérieuse, sinon douteuse...) La localisation des premières attestations du mot dans l'extrême nord du domaine gallo-roman, et non en péninsule ibérique, a été expliquée par le fait qu'on y faisait probablement commerce par voie de mer des peaux de lapin, ces animaux étant très abondants sur le territoire ibérique. L'évolution de sens résulte d'une métonymie, du nom du terrier à celui "d'animal de terrier". Une autre hypothèse rattache ce mot à l'ancien français lapriel, au portugais laparo, du latin leporellus "levreau", le petit lapin étant assimilé au petit lièvre ; la forme lapin étant un croisement avec le verbe laper au sens de "manger avidement".

Le leporello est une technique de pliage et de collage des pages d'un livre permettant à celui-ci de s'ouvrir comme un accordéon. Selon l'hypothèse courante, le mot fait directement allusion à Leporello, valet de Don Juan qui présente à Donna Elvira la longue liste des conquêtes de son maître, pliée en accordéon, dans le premier acte de l'opéra Don Giovanni de Mozart. Je hasarderais ici l'image, à titre d'étymologie populaire, du lièvre en fuite, zigzagant et bondissant, au corps en contraction/extension (je renvoie ici à cet animal fabuleux appelé lièvre diatonique
étymologie du mot lIèVRE

levre, 1080 ; issu du latin leporem, accusatif de lepus. Le mot d'origine méditerranéenne, remonterait à un substrat ibérique et n'a pas de correspondance en indo-européen. Une deuxième voie, plus compliquée, nous est signifiée par le plus ancien Dictionnaire étymologique de Brachet :

Lièvre — à l’origine levre, du latin leporem (lièvre) par la contraction régulière de lep(ŏ)rem en lep’rem, d’où lebre par le changement de p en blèvre dans la Chanson de Roland par le changement de b en v. Dérivés : levraut, levrette. Lévrier représente le latin leporiarus (proprement chien qui sert à courir le lièvre, dans les textes du moyen âge : Si quis per canes leporarios feram fugaverit, lit-on dans un acte du douzième siècle) par la contraction de lep(ŏ)rarius en lep'rarius et par le changement 1° de p en v ; 2° de arius en ier.

L'étymologie moderne de lièvre, contrairement à celle de lapin, est curieusement brève (et dans le deuxième cas, assez alambiquée !) En définitive, que pouvons-nous retenir de l'ensemble de ces informations ? Que lièvre est issu du latin leporem/lepus, mots qui sont eux-mêmes peu éloignés de lapin, lui-même issu, en dernière hypothèse, d'une source latine/méditerranéenne leporellus "levreau", le petit lapin étant assimilé au petit lièvre (famille commune des léporidés). Au final, il nous semble comprendre qu'à partir du moment où la langue française a décidé de rejeter l'ancienne forme connil/cuniculus de lapin, pour les raisons que l'on sait, un rapprochement s'est opéré avec la source latine leporem/lepus de lièvre, prenant support d'une origine commune pour une fin distincte. Mais je ne suis pas suffisamment savant pour en affirmer la valeur réelle et en démontrer la véracité... Une dernière précision importante, que je découvre pour la circonstance : on dit du lièvre qu’il vagit, mais qu’à la différence de celui-ci, le lapin clapit.

Sources bibliographiques :
Dictionnaire culturel en langue française, sous la direction de Alain Rey (Le Robert, 2005)
Dictionnaire étymologique de la langue française, sous la direction de Oscar Bloch et Walther von Wartburg (PUF, 2002)

VALEURS SYMBOLIQUES

► CHASTETÉ & FÉCONDITÉ, LUXURE & PROLIFÉRATION 

C'est à partir du XVIIe siècle que le lapin, petit mammifère très prolifique, récupérant une partie des valeurs symboliques du lièvre, a développé quelques motifs métaphoriques : le féminin lapine a commencé à s'appliquer à une femme particulièrement féconde, qui fait beaucoup d'enfants. Le terme de lapinisme est par la suite également employé (en Belgique avant 1950) pour désigner, au-delà du couple, la fécondité excessive d’un peuple.

 Où nos femelles vagabondes, Autant que lapines fécondes, Puissent promptement remplacer Ceux que le fer a fait passer.

Scarron, Virgile travesti (1649)

Si le masculin lapin qualifiait d'abord un homme gaillard, actif, résolu (1790), spécialement dans l'argot militaire (1809), la fécondité de l'animal a inspiré son emploi dans un contexte érotique, d'abord dans l'argot du collège (1858) puis dans l'expression populaire chaud lapin (1928), probablement favorisée par l'existence antérieure de la locution chaud de la pince (1866), de même sens, où pince représente — on s’en sera douté — le membre viril.

Au sujet de la symbolique de la virginité et de l’érotisme, je renvoie ici à un article précédent. 











►RAPIDITÉ & VÉLOCITÉ

La référence à la rapidité de l'animal poursuivi par les chasseurs a suscité courir comme un lapin (1809). Pour plus de précision, le lapin a une vitesse de course inférieure à celle du lièvre, plus grand et plus musclé (40 km/h pour le premier, 70 km/h pour le second).

►MÉMOIRE

Avoir une mémoire de lièvre, qui se perd en courant.
C’est avoir une très mauvaise mémoire, oublier très promptement. — On disait autrefois mémoire de connil (de lapin). En voici l’explication de Laurent Joubert, tirée de ses Erreurs populaires : « Le connil, dit-il, a la mémoire si courte que, ne se souvenant pas du danger qu’il vient de courir, il retourne à son gîte, d’où on l’a fait lever auparavant, et c’est pourquoi on tient suspect le cerveau de cet animal… »

Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française, P. M. Quitard, 1842

Nous sentons plus que jamais que la mémoire est dans le cœur ; car, quand elle ne nous vient point de cet endroit, nous n'en avons pas plus que les lièvres.

Sévigné, 9 sept. 1671

► INQUIÉTUDE & COUARDISE, VIGILANCE & INGÉNIOSITÉ

Être peureux comme un lièvre, être fort peureux.
Le lièvre fuit, n'attaque pas. On pourrait le considérer comme un animal paisible, qui ne vise qu'à assurer sa protection, mais l'homme interprète cette attitude comme un signe de lâcheté – lâcheté envers qui ? Le chasseur armé ? Déjà, dans le Roman de Renart (XI-XIIe siècles), le lièvre s’appelle Couart. Cette réputation est donc très ancienne et les exemples sont nombreux :


Mon secrétaire a grand peur du tonnerre ; malgré tout son mérite, je lui vois le tempérament d'un lièvre.

Maintenon, Lettres

Quand la couardise supposée n’est que méfiance légitime. Mais les exemples sont nombreux :

Un capitaine qui n'ose rien tenter, qui a peur de son ombre comme un lièvre.

Fénelon

Comme un lièvre inquiet glisse hors de son gîte / Peureux, le cœur timide et les yeux en éveil.

Anna de Noailles, Les éblouissements

Rendons ici justice à William Shakespeare qui, dans un de ses poèmes, parle du lièvre en meilleurs termes :

Et quand tu auras débusqué un lièvre myope, remarque comme ce pauvre animal, pour échapper à sa situation malheureuse, sait courir plus vite que le vent, et avec quel soin, en des milliers de zigzags, il va de-ci de-là dans sa fuite : les nombreuses brèches par lesquelles il passe sont comme un labyrinthe pour la confusion de ses ennemis […] La crainte rend ingénieux.

William Shakespeare, Venus et Adonis, Les poèmes (traduction Y. Bonnefoy)

►CUNICULICIDE

Si les lièvres avaient des fusils, on n’en tuerait pas tant.
« Proverbe usité parmi les chasseurs, pour dire que l’assurance et la hardiesse à la chasse, et par extension dans certaines affaires, en font principalement le succès. »

Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française, P. M. Quitard, 1842

Le coup du lapin.
Illustre la façon dont on tue un lapin en l'assommant par un coup derrière la tête (expression attestée vers 1850, rabbit punch en anglais), geste qui entraîne – si la chose est bien faite – la mort par lésion du bulbe rachidien, que ma Maman appelait, reconnaissant l’aspect déloyal de la manœuvre, le coup du Père François.

Pour clore ce sujet, on ne dépèce pas un lièvre, on l'écorche. Ma Maman, encore elle, le "dépiautait", mais laissait à l'animal écorché ses petits chaussons au bout des pattes.

Derrière la vitre pendaient les lapins roses, écartelés, le ventre ouvert sur leur gros foie – exhibitionnistes, martyrs crucifiés, offerts en sacrifice à la convoitise des ménagères.

Alina Reyes, Le boucher.

► SANTÉ & BEAUTÉ

Quand on mange du lièvre, on est beau sept jours de suite.
Cette considération est tirée de Pline et de son Histoire naturelle. Elle tient sans doute au rapprochement des mots lepus, leporis (lièvre) et lepos, leporis (grâce, agrément). On prétend par voie associative que la consommation de la chair du lièvre rend le teint fleuri et vermeil, et donne de la beauté. Le sang du lièvre passait aussi pour avoir des effets vivifiants.

Isabeau, lundi m’envoyastes
Un lievre, & un propos nouveau,
Car d’en manger vous me privastes,
En me voulant mettre au cerveau
Que par sept jours je serois beau
Resvez-vous ? avez-vous la fievre ?
Si cela est vray, Isabeau,
Vous ne mangeastes jamais lievre.

Clément Marot, Épigramme CCXLII

► MANIGANCES

Lancer un lièvre, le faire partir de son gîte.
Cela signifie soulever une difficulté.

Nous avons combattu et battu vos ennemis : ils avaient lancé deux lièvres, l'un en contrariété d'arrêt par une requête au grand conseil, l'autre par une requête civile.

Sévigné, 531

► OPPORTUNITÉ

Lever le lièvre ou un lièvre.
être le premier à faire quelque ouverture, à proposer quelque chose dont les autres ne s'étaient point avisés. Cela ressemble assez à l'expression sortir un lapin de son chapeau, faire apparaître une chose (idée, projet) au moment où on s'y attend le moins.

► TROMPERIE

Bailler le lièvre par l'oreille.
Amuser quelqu'un, le leurrer, le tromper.

Me bailla gentiment le lièvre par l'oreille.

Régnier, Satires

► EFFICACITÉ

Prendre le lièvre au corps.
Aller directement à ce qui est essentiel, locution tirée du lévrier qui saisit le lièvre par le corps.

Je vous aime par bien des raisons, mais surtout parce que vous m'aimez ; celle-là est fort pressante, et prend le lièvre au corps.

Sévigné, 578

► HARCÈLEMENT

Mener une vie de lièvre.
Être poursuivi, harcelé, tourmenté.

Je menai, comme on dit, une vie de lièvre pendant huit jours.

Lesage, Histoire d'Estevanille Gonzalez, surnommé le garçon de bonne humeur

► INDIGENCE

Gentilhomme à lièvre, gentilhomme qui avait peu de revenu, et qui était réduit à vivre de sa chasse. Nous ne sommes pas loin du braconnier.

Le gentilhomme à lièvre, qui va chasser chez ses voisins sans en être prié, et qui chasse moins pour son plaisir que pour le profit.

Buffon, Oiseaux

► CONVOITISE

Courir le même lièvre.
Ambitionner la même place, rechercher la même femme, etc.

Nous sommes ici tous trois dans le même équipage, nous y faisons tous trois la même chose, et peut-être courons-nous tous trois le même lièvre.

Dancourt, Charivari, scène 5

► IMPUDENCE

Vouloir prendre les lièvres au son du tambour.
Entreprendre ouvertement et avec éclat ce qui se devrait faire en cachette et adroitement.

► RÉVÉLATION

C'est là que gît le lièvre.
C'est là le secret, le nœud de l'affaire. Formé à partir de l'ancienne expression latine hic jacet lepus, "ici se trouve la difficulté", devenu plus familièrement : "voilà le hic".

►AVIDITÉ, CUPIDITÉ

Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois ; qui court deux lièvres n'en prend aucun.
c'est-à-dire quand on poursuit deux affaires à la fois, on s'expose à ne réussir ni dans l'une ni dans l'autre.

Oh dame ! on ne court pas deux lièvres à la fois.

Racine, Les plaideurs

►DU VOYAGEUR CLANDESTIN au RENDEZ-VOUS MANQUé

En lapin. Poser un lapin.
Se disait, à Paris, d'un voyageur qui occupe la place à côté du cocher.

Moi, j'ai une place auprès du cocher, en lapin, comme cela se dit.

Picard, les Oisifs, scène 23

Par allusion aux cages exiguës dans lesquelles on entasse les lapins, le mot a désigné un voyageur pris en surnombre dans les voitures publiques (1783), d'où au XIXe siècle un voyageur dont le déplacement n'est pas inscrit à un compteur et dont le conducteur empoche les six sous (1876).

Ce sens argotique qui n'est plus d'usage est à l'origine de l'ancienne locution faire cadeau d'un lapin à une fille, "c'est-à-dire ne pas payer ses faveurs" (1878-1879), modifiée en poser un lapin (1881), variante qui s'est répandue dans l'usage familier avec le sens de "ne pas être au rendez-vous convenu" (1888). Faire faux bond.

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